Dans un café, en face d’un vieil hôtel de Lodz, je lisais Le bouclier du tonerre de Gemmell, deuxième tome de sa trilogie sur Troie. Eprise des aventures des guerriers d’Agammenon, tout à coup, je me souvins, que l’auteur mourut assez récemment. Je pensai alors autrement à son livre et une fois de plus, je regrettai de n’avoir aucun talent. J’aurais aimé savoir raconter des histoires. Elles seules encore savent rendre la réalité mystique. Et dans ma vie, rien n’est tel, sauf peut-être mes rêves de plus en plus étranges avec l’âge mais qui ne sont pas des présages de malheurs comme ceux d’une Pénélope fidèle. Brusquement, une vue banale me fit revenir des abîmes de mes regrets. A la table d’à côté, vint s’asseoir un couple. Le garçon semblait indifférent à la jeune fille qui l’accompagnait pourtant son regard le trahit. Il y avait dans ses yeux cette étincelle à peine visible d’une excitation naissante qui provoqua la disparition totale de l’idée que je me faisais d’eux au départ. Elle, souple et mince, avec des talons de pute, n’avait rien qui aurait pu faire croire à quiconque qu’elle eût jamais des sentiments. Ennuyée de la conversation, elle s’approcha du beau brun qui lui parlait assez intelligement des étoiles et des planètes inconnues qui tournent autour de chacune d’elles. J’aurais pu continuer cette conversation avec lui, je venais récemment de voir un film sur le sujet, et je le trouvais quasi passionant. Mais la fille de rêve n’y pensait guère et changea de place pour se blottir contre lui. Lors d’une seconde, j’eus presque cru qu’ils allaient faire l’amour juste en face de moi, sans moindre hésitation. Ils émanaient d’une sexualité si provoquante que je ne pouvais m’empêcher des les observer.Cette scène me parut charmante jusqu’au moment où elle ouvrit la bouche. Elle raconta, avec ardeur,des détails absurdes sur les événements politiques actuels. Je compris que sa méthode de charme reposait dans l’éloquence ce qui, sans qu’elle le sache, n’était pas son point fort. L’auditeur avec un air philosphique qui se dessinait sur ses joues, soudainement, lui coupa la parole. Il s’approcha encore plus près d’elle et murmura quelque chose à son oreille. Deux secondes après, ils se levèrent et s’en allèrent sans payer, complétement absorbés par l’idéé, j’imagine, de la suite. Et la suite, me dis-je sur le moment, serait bien courte car comment une femme dépourvue de signification et un homme ne voyant pas plus loin que le relief d’une silhouette peuvent-ils faire durer les choses ? Je pensai alors que la force de l’instant n’est rien à côté de la continuité. Je m’interrogai longuement après leur départ sur les relations humaines. Et je fus inapte à comprendre comment on peut jouir sans la jouissance de la parole. Je revins alors à ma Pénélope et son Ulysse, Piria et sa fugue et enfin à Priam et son rêve économique. Ils me parurent dès lors encore plus héroïques, plus irréels, tellement littéraires que je fus restée encore pendant longtemps plongée dans la lecture; laissant refroidir mon thé.
Nada particular
Elle arriva avec mon fils pour me sauver de la folie du lit dans lequel j’avais passé ma journée. Toujours enfouie dans des lectures macabres, chaque fois que je m’endormais je rêvais d’histoires sanguinaires. Le dernier rêve, fait vers 17h était des plus calmes. Je faisais un voyage en stop avec un camioneur barbu. J’avais l’air d’une enfant perdue qui cherchait du pain. On allait à l’est. Il faisait jour et le soleil attaquait mes yeux. Je ne savais pas pourquoi j’avais tout abandonné : ma femme, mon chat, et mon enfant. Juste avant de monter dans le camion, je les avais déposés chez une amie et, sans dire mot, je m’en étais allée. J’essayais de fouiller mes souvenirs pour établir les faits. La seule chose que je savais c’est qu’il fallait y arriver à tout prix et comme dans un livre fantastique j’allais comprendre bientôt le but de ma mission. Elle sonna à la porte. Je lui ouvris avec difficulté me trouvant encore à moitié dans le camion. Tout de suite, la maison se remplit d’une énergie étonnamment fraîche, un mélange de sa personnalité vivace et de la surexcitation de l’enfant qui guela en entrant : réveille-toi, debout ! J’eus immédiatement envie de mourir ou de le tuer. Adieu, mon beau camion... Je ne comprenais pas trop ce qui se passait, ils étaient là à bouger dans tous les sens, me racontant une anécdote qui avait eu lieu au supermarché. Elle était, soit disant, la preuve de l’intelligence de mon fils qui aurait déconseillé à une madame l’achat de bonbons comme étant mauvais pour la santé en lui expliquant que ce qu’on raconte dans les publicités sur les vitamines qu’ils contiennent est une connerie absolue. La madame a laissé les bonbons et son gosse lui en voudra sûrement.Ensuite, je compris que c’était les préparatifs du repas qui les rendaient si mobiles. J’avais faim au bout du compte n’ayant rien mangé toute la journée.. Et je revins au monde des vivants. Elle sortit plein de légumes de son nouveau sac beige, des oeufs, de la farine et ma cuisine devint une oeuvre d’art contemporain.
On mangea ensemble avec pour accompagnement un mélange musical hors du commun, ça nous faisait rire. Après le repas, ils se couchèrent. Je trouvais leur sommeil doux et innocent. J’étais restée seule avec mes pensées nocturnes et cette musique absurde dans le fond.
Titre: Le bain
Durée: 11'
Aucun dialogue. Une salle de bain. Premier plan: des protèges-slips sur une étagère. Musique: John Lee Hooker. Deuxième plan: Une fille légèrement ronde prend son bain. Cheveux court. Visage serein. On ne voit que la partie du corps qui dépasse les bords du bain. Elle soulève la jambe droite. L'observe. Elle n'a pas l'air contente. Gros plan sur les poils qu'elle rase, très calmement. Elle arrête à mi-chemin. Se masse. Replonge la jambe. Elle se courbe en arrière. On voit ses seins, gonflés. Elle mouille ses cheveux, met du shampoing - gestes sensuels. Elle ne rince pas les cheveux. Oublie ce qu'elle faisait. Touche son corps. Elle sort de sous l'eau, d'entre ses jambes, un caillot de sang. Elle le regarde, le retourne dans tous les sens. Elle sourit et commence à l'étaler sur ses mains qui deviennent vite recouverte de la masse rouge, elle va jusqu'aux coudes. Elle renifle. Nouveau sourire. Elle rince les mains. Elle se lève. Du sang coule entre ses jambes. Troisième plan: L'image remonte sur le ventre dégoulinant, abîmé, sur les seins, sur le visage - toujours calme. Elle sort du bain. La caméra se retourne du haut vers le bas, on voit l'intérieur du bain et dedans des entrailles et un corps de bébé mort sous l'eau.
Fin
La tirade absurde
Comment se fait-il que rien ne change, ni en mai, ni en avril, encore moins en juillet ou décembre? Tout n'est que temps qui fuit. Tout n'est qu'illusion sauf vous. Vous êtes pénétrant, vous êtes partout. Une fois encore me voilà votre esclave, votre jouet adoré, votre lame dans un tiroir. Je ne suis rien qu'une idée, qu'une image sur un mur, que fumée qui s'étend autour. Je ne suis qu'une illusion vague qui gît dans vos yeux mornes. Que se passe-t-il dans votre tête? Que voulez-vous de moi? Que puis-je encore faire qui ne vous fasse plus de peine? Je suis votre péché mortel, votre mauvais rêve. Pourtant vous me tenez par la main et ne lâchez pas alors que moi je pars. Je suis déjà très loin, votre esclave mais maître de mon propre destin. Je m'arrache, je me dénoue, je m'évapore de vous. Votre main est froide, votre coeur m'est glace. Je vous laisse tyran, à d'autres je cède la place. Je me prépare à mon voyage ultime en entrant dans le corps d'une hystérie éternelle. Je me meurs, et non de vous.